Une patiente m’est adressée pour une hypophosphatémie (0.48 mmol/l pour une norme entre 0.87 et 1.45 mm/l) avec comme question la possibilité d’une tubulopathie ? Un problème d’absorption ou de manque d’apport a été écarté, le transit est normal et le bilan réalisé montre un bilan phosphocalcique dans la norme (calcium, vitamine D native et parathoromone). Elle est connue pour une anémie ferriprive (spoliation gynécologique) pour laquelle elle a reçu des perfusions de fer (VENOFER®) et on vient de découvrir une hyperthyroïdie qui est traitée par carbamizole (NEO MERCAZOLE®) et métoprolol (BELOC ZOK®).
J’ai tenté dans un premier temps de chercher un lien entre hyperthyroïdie et tubulopathie, sans succès.[1, 2] On parle ici d’acidose tubulaire rénale avec le fameux syndrome de Fanconi qui fait une atteinte proximale, voir Tout savoir sur le syndrome de Fanconi.
C’est finalement le traitement pour une pathologie beaucoup plus fréquente que l’on peut incriminé, à savoir les perfusions de fer ! En effet, l’administration de fer parentérale peut être associée à une hypophosphatémie. Cette complication n’est pas très connue et n’est surtout pas mentionnée sur l’informations sur les médicaments (www.documed.ch).
L’hypophosphatémie compliquant une perfusion de fer parentérale a été rapporté pour la première fois en 1982 dans la littérature japonaise.[4] En 1983, Okada et coll. ont montré une chute temporaire du phosphate et de la réabsorption tubulaire du phosphate suite à une perfusion de fer sucrose.[5] Deux autres études ont montré une baisse de la 1,25 vitamine D alors que la 25 vitamine D était normale, suggérant un effet inhibiteur du fer sur l’activité de la 1-alpha-hydroxylase.[6, 7] Enfin, une étude plus récente a montré une augmentation du FGF3, une hormone phosphaturiante chez des patients sans insuffisance rénale chronique, alors que le FGF23 diminue chez les patients avec IRC (mais pas chez tous).[3, 8] D’autres ont parlé de redistribution cellulaire du phosphate lors de l’érythropoïèse engendrée par le fer. Les mécanismes ne sont, comme on peut le voir, pas encore clairement établis.
L’incidence de cette complication n’est pas connue, mais les études citées semblent suggérer que c’est un phénomène commun. Il faut donc la connaître et y penser chez les patients qui reçoivent des perfusions de fer sur le long terme, et ceci pour minimiser le risque d’ostéomalacie.
Enfin, je vous signale qu’un nouveau chélateur du phosphate va bientôt être mis sur le marché suisse. Je vous en parle sur cet article, car celui-ci est à base de fer !!! Il s’agit du PA21, qui se présente sous forme de comprimé à mâcher (mélange d’oxyhydroxyde de fer (III) polynucléaire, d’amidon et de saccharose). Chaque comprimé de PA21 contient l’équivalent de 500mg de fer élémentaire insoluble. Quand il est pris au cours des repas, le PA21 adsorbe le phosphate au niveau du tractus gastro-intestinal, prévenant ainsi son assimilation par le sang. Le phosphate lié au PA21 est ensuite éliminé par les selles.[9]
On a de la peine, avec ce dernier élément, à penser qu’il n’y ait pas de relation entre fer et hypophosphatémie ! Enfin, la plupart du temps, l’hypophosphatémie est asymptomatique et transitoire, comme c’est le cas pour ma patiente. Comme on l’a vu, en cas d’IRC, la baisse du phosphate est même un effet désirable. Il faut toutefois être prudent chez des patients fragiles car une hypophosphatémie sévère peut entraîner des complications graves. C’est le cas d’une patiente transplantée rénale, rapportée par nos collègues lausannois qui a du être hospitalisée en raison d’une profonde asthénie suite à des perfusions de fer (voir figure ci-dessous).[10]
Voir aussi
Le magnésium comme chélateur du phosphate
Source
1. Stucker F, Saudan P, Feraille E, Martin P-Y: [Renal metabolic acidosis: physiopathology, diagnosis and treatment]. Rev Med Suisse 2007, 3:612–617.
2. Rodriguez Soriano J: Renal Tubular Acidosis: The Clinical Entity. Journal of the American Society of Nephrology 2002, 13:2160–2170.
3. Schouten BJ, Hunt PJ, Livesey JH, Frampton CM, Soule SG: FGF23 elevation and hypophosphatemia after intravenous iron polymaltose: a prospective study. J. Clin. Endocrinol. Metab. 2009, 94:2332–2337.
4. Okada M, Imamura K, Fuchigami T, Omae T, Iida M, Nanishi F, Murakami M, Ohgushi H, Yao T, Fujita K, Ogawa K: [2 cases of nonspecific multiple ulcers of the small intestine associated with osteomalacia caused by long-term intravenous administration of saccharated ferric oxide]. Nippon Naika Gakkai Zasshi 1982, 71:1566–1572.
5. Okada M, Imamura K, Iida M, Fuchigami T, Omae T: Hypophosphatemia induced by intravenous administration of Saccharated iron oxide. Klin. Wochenschr. 1983, 61:99–102.
6. Sato K, Shiraki M: Saccharated ferric oxide-induced osteomalacia in Japan: iron-induced osteopathy due to nephropathy. Endocr. J. 1998, 45:431–439.
7. Sato K, Nohtomi K, Demura H, Takeuchi A, Kobayashi T, Kazama J, Ozawa H: Saccharated ferric oxide (SFO)-induced osteomalacia: in vitro inhibition by SFO of bone formation and 1,25-dihydroxy-vitamin D production in renal tubules. Bone 1997, 21:57–64.
8. Prats M, Font R, García C, Cabré C, Jariod M, Vea AM: Effect of ferric carboxymaltose on serum phosphate and C-terminal FGF23 levels in non-dialysis chronic kidney disease patients: post-hoc analysis of a prospective study. BMC Nephrol 2013, 14:167.
9. Wüthrich RP, Chonchol M, Covic A, Gaillard S, Chong E, Tumlin JA: Randomized clinical trial of the iron-based phosphate binder PA21 in hemodialysis patients. Clin J Am Soc Nephrol 2013, 8:280–289.
10. Mani L-Y, Nseir G, Venetz J-P, Pascual M: Severe Hypophosphatemia After Intravenous Administration of Iron Carboxymaltose in a Stable Renal Transplant Recipient. Transplantation 2010, 90:804–805.
Tres important à connaître .merci bcp
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Très intéressant+++
C’etait quoi le délai d’apparition de l’hypophosphorémie /perfusion de Fer?
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les électrolytes c’est tout un monde, ce qui fait le charme de la néphrologie, merci pour l ‘information.
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trés interessant
merci a vous
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