Il était une fois la maladie de la pierre

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Pendant longtemps, la lithiase urinaire a été appelée maladie de la pierre. Le terme de lithiase désigne la maladie résultant de la formation de calculs dans les reins ou les voies urinaire. Le mot lithiase vient du grec lithos (pierre) et celui de calcul du latin calculus, nom des petits cailloux utilisés par les comptables romains. Elle était aussi appelée gravelle, car les concrétions d’acide urique trouvées dans les urines ressemblaient à de petits graviers.

Pour moi, être sujet à la gravelle et devoir pour cela m’abstenir de manger des huîtres, cela fait deux maux au lieu d’un ! – (Montaigne, Essais Livre III, chapitre 13, § 55. Traduction de Guy de Pernon)

Le premier calcul vésical connu remonte au environ de 4’800 ans avant J-C et a été retrouvé en Egypte chez un enfant. Hippocrate recommandait déjà aux lithiasiques d’avoir une diurèse abondante.[1] Il fut le premier à parler du sens de la lithiase, avec ses douleurs rénales, irradiées vers l’avant, des grains de sable dans les urines et du diagnostic de calculs rénaux.

En France, on a retrouvé parmi les ossements humains du dolmen de la Bertrandoune, à Prayssac, un calcul vraisemblablement vésical datant de 2’200 ans avant notre ère. Il était également composé de phosphate de calcium. D’autres pierres, notamment vésicales, ont été découvertes dans des momies égyptiennes, par exemple celle de Ramsès II et, aux Etats-Unis dans les momies indiennes plus récente datant de 500-700 après J-C.

De nombreux écrits, de l’Antiquité au Moyen Âge, attestent la fréquence de la lithiase, en particulier vésicale, et l’existence de lithotomistes, spécialistes itinérants du traitement chirurgical de cette lithiase.

La littérature anglo-saxonne rapporte plusieurs cas de calculs chez des hommes politiques anglais du XVIIe siècle, par exemple lord Oliver Cromwell (1599-1659), opposant au roi Charles 1er d’Angleterre ou encore sir Robert Walpole (1676-1745), comte d’Oxford. Ce dernier était un gros mangeur et souffrait d’obésité. Chasseur passionné et grand amateur de viande, il consommait de grandes quantités de gibier, ce qui explique sa maladie goutteuse et la nature urique des ses calculs.

La lithiase urique liée à l’opulence a marqué l’histoire. En effet, de nombreux hommes publics et hommes d’Etat ont souffert à la fois de podagre et de gravelle. Il faut mentionner Michel de Montaigne, Benjamin Franklin, Charles Darwin, Isaac Newton, Michel-Ange, Mirabeau ou Napoléon III. Ce dernier était atteint d’une lithiase urique récidivante et lors de la bataille de Sedan en 1870, il souffrait d’un calcul vésical très incommodant dont Daumier a fait des caricatures féroces.[2]

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Otto von Bismarck et Napoleon III après la bataille de Sedan en 1870.

Le pape Innocent XI est décédé en 1689 d’une insuffisance rénale provoquée par deux volumineux calculs d’origine infectieuse (200 grammes et 255 grammes). Tous ces personnages avaient en commun une alimentation pléthorique, très riche en gibier, en viande et en poisson, sources de nucléoprotéines.

La lithiase urique ne représentait cependant qu’une petite fraction des lithiases observées dans la population des pays d’Europe, comme en atteste un rapport présenté à la Société Royale de Médecine à Paris en 1786, portant sur 1’463 calculs collectés en France: dans presque 80% des cas, ces calculs provenaient d’enfants de moins de 15 ans dont 95% étaient de sexe masculin.[3] Dans l’immense majorité des cas, les calculs étaient situés dans la vessie. La nature phosphorique ou uratophosphomagnésienne de ces calculs traduisait les déficits nutritionnels et les infections urinaires qui en étaient la cause.

Dans le milieu du siècle suivant, parallèlement à la révolution industrielle, la transformation de la société s’est accompagnée des premiers signes d’une transformation de la maladie de la pierre. La situation de l’Europe, où les données sur la lithiase urinaire sont les plus nombreuses et les plus anciennes illustre bien cette évolution.

Au cours du XXe siècle, la lithiase urinaire a considérablement régressé chez l’enfant. Aujourd’hui, moins d’un enfant pour 100 adultes est victime d’une lithiase urinaire. Parallèlement, le rapport homme/femme (H/F) a fortement diminué et se situe actuellement entre 1.5 et 2.5. Les hommes sont et restent plus exposés que les femmes au risque de lithiase.

Evolution historique et géographique de la lithiase urinaire

Epoque, pays et niveau socio-économique Caractéristique de la lithiase
  • Europe jusqu’au XIXe siècle (faible niveau socio-économique)
  • Zones rurales des pays non industrialisés au XXe siècle (faible niveau socio-économique)
  • Zones urbaines des pays en développement à la fin du XXe siècle (niveau socio-économique faible ou intermédiaire
  • Localisation vésicale
  • Enfant de 1 à 10 ans
  • Sexe: rapport M/F > 15
  • Composition des calculs: phosphates et/ou urates, notamment urate d’ammonium au départ des calculs
  • Zones urbaines des pays en développement à la fin du XXe siècle (niveau socio-économique faible ou intermédiaire

 

  • Localisation rénale ou vésicale
  • Adultes et enfants
  • Sexe: rapport M/F compris entre 3 et 10
  • Composition des calculs: oxalate de calcium prépondérant, mais phosphates et noyaux d’urate d’ammonium fréquents
  • Pays industrialisés à la fin du XXe siècle (niveau socio-économique élevé)
  • Localisation rénale
  • Adulte de la 3e à la 6e décennie
  • Sexe: rapport M/F entre 1 et 2.5
  • Composition des calculs: oxalate de calcium

Principales caractéristiques de la lithiase urinaire à la fin du XXe siècle

Aujourd’hui, la localisation vésicale des calculs est peu fréquente dans les pays industrialisés. Elle affecte surtout les hommes âgés qui ont une hypertrophie de la prostate et une stase urinaire. Chez la femme, la lithiase vésicale augmente aussi après 70 ans, essentiellement sous la dépendance de contextes infectieux.

En dehors de ces contextes, la lithiase se forme aujourd’hui dans le haut appareil urinaire, au niveau pyélique ou caliciel, et même, fréquemment, au niveau de la papille rénale directement.

Aujourd’hui, la lithiase rénale affecte l’adulte de 25 à 60 ans, sans véritables pic de fréquences, même s’il est classiquement admis que le risque maximum de faire un calcul se situe au environ de 40 ans. L’atténuation du risque lithiasique ne devient évidente qu’au-delà de 60 ans.

Initialement les calculs étaient fait le plus souvent de purine, d’urate d’ammonium et d’acide urique ou de phosphates calciques et magnésiens. Aujourd’hui, il se compose principalement d’oxalate de calcium. Cette évolution tient essentiellement à deux phénomènes : d’une part une transformation profonde des habitudes nutritionnelles, d’autres par une meilleure couverture médicale avec une amélioration des conditions de vie et d’hygiène.

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Le problème de la lithiase est essentiellement celui de l’atteinte de la qualité de vie et du risque d’atteinte sur la fonction rénale.

Source

Les lithiases rénales par Bertrand Doré (2010) ISBN: 978-2-287-59747-3

Lithiase urinaire par Michel Daudon, Olivier Traxer et Paul Jungers (2012) ISBN: 978-2257204370

1. Marketos SG: Hippocratic medicine and nephrology. Am J Nephrol 1994, 14:264–269. PMID: 7847453

2. Androutsos G: La maladie urogénitale de Napoleon III (1808-1873). Progrès en urologie 2000.Free Full Text

3. Richet G: The chemistry of urinary stones around 1800: a first in clinical chemistry. Kidney International 1995, 48:876–886. Free Full Text

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